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L'atelier
chimérique par Frédérique Lignon
Quel que soit notre état en regardant les tableaux du peintre
Bernard Rouyard, on est appelé à entrer dans un état
autre, de familiarité et d'étrangeté en même
temps. L'image retient d'emblée par une profondeur de perspective,
un équilibre, dans lesquels s'animent organiquement les objets
d'une nature morte, les éléments d'un paysage.
Ici, le ciel assume des teintes que l'été offre à
une certaine heure. Ailleurs, le soir qui approche révèle
un autre ciel, que l'incertitude de l'heure transfigure. Le temps
est comme assimilé dans la nature, incorporé dans
les variations et la peinture. Ce n'est pas l'image figée
d'une certaine heure que nous découvrons, mais une multitude
de ressemblances avec une quantité de moments que nous avons
entrevus ou éprouvés. Du coup, l'uvre figurée
entre en résonance avec ce que chacun porte en soi, de personnel,
et qui l'individualise. Intérieurs, compositions extérieures,
ou encore personnages saisis dans une pose expressive enveloppent
dans une atmosphère à part, une qualité de
silence que de rares endroits réservent. Tous les éléments
d'un tableau contribuent ainsi à créer, non pas un
miroir qui nous réfléchit, mais un réseau de
ressemblances qui nous engagent. Les unes interpellent en nous troublant,
les autres, non sans ironie, tiennent à distance. C'est là,
sans doute, ce qui déconcerte le plus ; une peinture figurative
par le trait, qui " pense par ressemblance " dirait Walter
Benjamin, et une construction abstraite par la couleur qui désorganise
notre perception première des choses ou de l'espace.
Cette
réalité double rappelle l'itinéraire d'un graveur
abstrait devenu peintre figuratif. Au-delà de l'image, de
la stabilité du pinceau, de la facture délibérément
" classique " des mises en scène, s'incarne dans
l'image même ce qui est insaisissable, fluide, infiniment
déstabilisant. Des signes le rappellent. Là, au premier
plan, horizontalement, un champ prolongé de ciel. Le coupe
un poteau énigmatique à gauche, contre l'échappée
d'un chemin. Ou encore une porte ouverte sur la lumière,
en arrière-plan, s'évade d'un intérieur et
du morceau de vie qui s'y joue. C'est cette porte qui nous occupe.
Elle est rectangle, peinture pure. Sans place pour la littérature.
Elle l'intègre peut-être, comme elle intègre
en partie une réalité à laquelle elle feint
de ressembler. Car, ce que regardent les personnages dans les tableaux
de Bernard Rouyard n'est jamais que des personnages qui regardent.
Le peintre indique leur concentration, il ne décrit pas leur
histoire. Avec lui, le geste de peindre a pour objet de restituer
avec l'exactitude d'un témoin et la rigueur d'une passion,
l'immersion d'une image dans le réel, la mobilité
et la fragilité des choses derrière l'apparence. Comme
un tout, la vie.
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