|  |     Bernard 
              Rouyard : d'un à-propos et de l'infini par Sylvie 
              Lagnier 
 
 L'espace est clos. Pourtant, le mur se confond avec le sol, impression 
              d'inachèvement ouvrant à l'errance. Ensemble, ils 
              miroitent, allant jusqu'à dialoguer avec la vitre, haute, 
              étroite. Ils pourraient absorber l'espace, le faire disparaître. 
              Peinture.
 
 Les touches pluvieuses embuent la fenêtre et la lumière 
              qui les traverse, baigne l'atelier d'une douce mélancolie. 
              Vibration.
 
 La peinture de Bernard Rouyard est entre les choses, un entredeux 
              entre la chair du corps et l'air du monde. Elle est dans un écart 
              qui soustrait la réalité de l'ordre du visible et 
              accorde à la main, la lisibilité de ses traces : en 
              lieu et place de la présence, autrement dit de la figure, 
              s'affirme la plénitude de la touche. Geste, résistance 
              et désir.
 Le peintre traduit l'éphémère perception du 
              lieu, et sur la toile, tout objet se fond dans son espace pictural. 
              C'est en peignant la lumière d'un mur, d'une table, d'un 
              sol, d'un épiderme ou d'un oignon qu'il nous invite dans 
              le présent d'un jour passé. " Le pouvoir de la 
              peinture commence là : il tient à la combinaison d'un 
              à-propos et de l'infini. " Belle proposition de Bernard 
              Noël dont la plume précisait encore que " la représentation 
              dévoile ce qui est au-delà de l'espace ordinaire de 
              la relation, et qui reste derrière elle, juste comme nous 
              demeurons derrière notre peau. Représenter suppose 
              le retournement de cette situation et la mise au jour de l'intimité 
              même. " Le déjà-vu, c'est-à-dire 
              l'image, est l'un des matériaux du peintre - qu'elle soit 
              sous ses yeux ou souvenir. Ce perçu est travaillé 
              jusqu'à ne garder que l'essence de cette image. Rétention.
 Peindre 
              consiste sans doute moins à ajouter qu'à retirer. 
              L'espace conçu est réflexion, il est ce jamais vu 
              à partir duquel la toile se distingue de toute image : voyage 
              à travers le corps de l'artiste. Une réalité 
              qui devrait être invisible, mais que la matière picturale 
              fait apparaître. Instants vibrants encore grâce à 
              la couleur déposée au pinceau au bout duquel des gestes 
              surs, fébriles, ralentis, brefs ou longs, appuyés 
              ou plus légers disent le désir de transposer le voir, 
              le sentir et le vivre sur la surface textile. Tension.
 Bernard Rouyard ne cherche pas à vaincre le temps, il le 
              manifeste. La lumière dorée dissout les formes, elle 
              les fond dans l'espace tamisé où le temps n'est ni 
              arrêté, ni suspendu, il est sur un autre rythme, celui 
              d'une perception plus introspective. Une attente infinie se fait 
              jour, pressentir un lendemain. Et les figures de pénétrer 
              les ombres de la toile, l'Être sans être là, 
              l'absence pour plus de présence. Et de méditer la 
              couleur, la forme, le grain car la matière passe par le même 
              travail que le sujet représenté. D'une certaine manière, 
              le peintre ôte les mots pour cerner ce qui leur échappe. 
              Dans Note sur l'art, Rilke écrivait que l'artiste enlève 
              les choses qu'il choisit de représenter aux nombreuses relations 
              contingentes et conventionnelles, qu'il les rend solitaires. Respiration.
 
 La peinture est un devenir, formes statiques et pourtant au bord 
              du mouvement, fuite des apparences. État de non finitude 
              conduisant et égarant l'Autre dans le lieu de l'errance de 
              l'artiste. Conversation silencieuse. La toile est là, expérience 
              sensible dépouillée de son concept de vérité.
 
 
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